Le Grand Nord, Épisode 2: Chu où, moé?

Publié le 19 Octobre 2019

Le Grand Nord, Épisode 2: Chu où, moé?

Le fait d'avoir vécu en Espagne, en Allemagne ET au Canada en l'espace des six derniers mois, ça devient rapidement mélangeant.

Quand je remplis des formulaires et qu'ils me demandent mon adresse permanente, des fois j'indique mon adresse actuelle à Hay River, mais des fois j'indique mon ancienne adresse à Québec, où la coloc habite toujours, parce que c'est encore là que je reçois mon courrier officiel. C'était plus simple que de faire envoyer mes lettres de Revenu Québec à Argentona, en Espagne, ou à Sengenthal en Allemagne. Quand la coloc va déménager (ou qu'elle va se tanner d'entreposer mes avis fâchés de l'ARC), ma vie va devenir compliquée. Avec un peu de chance, je vais avoir décidé de rester à une place pendant plus que dix mois rendu là.

Mais si je me trouve mêlée, c'est rien comparé à mon ordinateur. Youtube me fait encore jouer des publicités en allemand, et Spotify m'envoie du spam en espagnol. Ça leur prend du temps à se réajuster. (Mais si je m'adonne à parler du mariage d'une amie au passage à une collègue, je te dis que ça ne prend pas 10 secondes aux espions cachés de Facebook pour transmettre l'information à Mark Zuckerberg, qui se met à me montrer pleins de pubs de bagues de fiançailles et de robes de mariées, soudainement. Pour moi, Youtube et Spotify devraient prendre des notes.)

L'autre jour, j'étais à la piscine avec les jeunes du service de garde, parce que le vendredi, l'école finit à midi, ce qui veut dire qu'il faut tuer cinq heures et demie au lieu de deux à la garderie, parce que la job des parents, elle finit quand même à 17h. La piscine, ça tue une bonne heure et demie, avec la marche et le chaos des vestiaires.

Bref, vu qu'on avait juste 5 jeunes ce vendredi-là, ma collègue Klaudia m'a dit que je pouvais aller nager un peu tranquille pendant qu'elle occupait nos hyperactifs à faire des longueurs dans le pas-creux. Après, on échangerait de rôles. 

Pendant que je faisais mes longueurs à la brasse (parce que je suis rendu à l'âge où j'aime pas me mouiller les cheveux), j'ai remarqué que, en excluant les quelques ados bedonnants qui niaisaient dans le jacuzzi, il y avait un nageur qui avait l'air pas mal sérieux, qui faisait ses longueurs dans la partie réservée à ça. Il portait même un casque de bain, pour te dire. Pis sur son casque, il y avait un drapeau américain. Je me rappelle avoir pensé que c'était drôle pareil, quelqu'un qui porte un drapeau américain sur le crâne, alors qu'on est en.... au.... euh...

Ça m'a pris 10 bonnes secondes à me rappeler j'étais où dans le monde, là. C'est un peu comme quand tu es ben concentré sur quelque chose, comme le 10e formulaire nécessaire à ton embauche, ou sur la rédaction d'un texte de bêtises sur le dernier épisode de Game of Thrones, pis que quelqu'un te demande ce que tu as mangé hier soir. L'espace d'un instant, t'es comme pu sûr.

Faque ça m'a pris quelques secondes pour me rappeler que j'étais au Canada, mais juste un peu plus haut en latitude.

Quand je vais commencer à rentrer travailler à 8h10 et qu'il va encore faire noir, je vais peut-être avoir moins de misère à m'en rappeler, mais d'ici là, j'en ai encore pour un bout à me mélanger.

Au moins deux jours, j'estime.

*

Après trois semaines à Hay River, je pouvais enfin dire que j'étais installée: je suis allée me chercher une carte de bibliothèque, j'ai emprunté deux livres. J'étais une vraie résidente, là.

Et j'étais une résidente occupée.

Moi qui m'étais dit que je ne ferais pas la même erreur qu'en Espagne et me remplir un horaire de travail de débile, me voilà déjà à jongler quatre contrats.

Je suis monitrice de langues via le programme Odyssée. Ça, c'est le contrat de base, la raison pour laquelle je suis ici. C'est 25 heures, et le contrat est avec le gouvernement.

Je travaille aussi au service de garde après l'école, donc deux heures de plus après chaque journée de travail (et cinq heures le vendredi, vu que l'école finit à midi). Le contrat est avec l'association franco-culturelle de Hay River, qui offre le service de garde (et l'École Boréale prête les locaux, puisque c'est pour leurs élèves, en fait).

J'ai aussi un contrat pour faire de la suppléance à l'école quand ils ont besoin. Mon horaire de monitrice est vide le jeudi, pour faire place à des remplacements. Mine de rien, à Hay River, leur liste d'appel quand quelqu'un est malade n'est pas très longue. Ça leur fait du bien d'avoir une personne de plus à appeler le jeudi. À date, j'ai fait de la suppléance tous les jeudis. 

Ça faisait donc trois contrats différents. Certaines personnes m'encourageaient à faire du tutorat avec des élèves, car c'est très en demande (et les parents paient bien, semble-t-il), mais je me disais que, woah minute, j'avais besoin de temps à moi aussi. Et puis, après 40 heures passées avec des enfants ou adolescents dans ma semaine, mon cerveau n'avait plus les cellules nécessaires pour maintenir les interactions sociales encore bien plus longtemps. J'avais déjà assez d'affaires comme ça.

C'est donc pendant une fin d'après-midi assez tranquille au service de garde que je me suis fait enrôlée dans une autre affaire malgré tout.

Je préparais des feuilles d'exercice à l'intérieur pendant que Klaudia, ma collègue de la garderie, était avec les enfants dehors, à traiter le compost. Quand je suis sortie la rejoindre dehors, les enfants se récompensaient de leur dur labeur par une séance d'hyperactivité dans l'aire de jeu extérieure. Klaudia les surveillait paisiblement, et Édith de l'association était de passage. Elles discutaient tranquillement.

Il faisait étrangement chaud pour un début de mois d'octobre. Les enfants avaient abandonné leurs manteaux dans un coin de l'aire de jeu, et pour une fois, on les avait laissés faire. Le soleil tapait vraiment fort, pour un mercredi 2 octobre, juste avant 17h.

Édith m'a prise à part et m'a demandé si je me cherchais de quoi faire des sous. Tout de suite, je me pratiquais mentalement à refuser, sachant à quel point il m'est difficile de dire non.

Mais je l'ai quand même écoutée d'abord.

"Les mardis soir, la piscine est gratuite pour les membres de l'asso, et j'ai besoin de quelqu'un pour être là."

"... Ça implique quoi comme travail?"

"Être là."

"Il faut animer?"

"Bof. Le but c'est de repérer les membres de l'asso, les accueillir, leur parler en français s'ils le veulent."

"Il y a des enfants?"

Je pensais aux sorties à la piscine avec la garderie le vendredi, et déjà, j'avais mal à la tête.

"Non, à cette heure-là, c'est plutôt les parents qui viennent relaxer. Tsé, tu pourrais passer l'heure dans le hot tub et ça serait bien correct. Tu es là une heure et je te paie 30$."

J'ai pas trop eu à y penser.

"Vendu!"

J'ai donc commencé à aller à la piscine tous les mardis de 19h à 20h, pour remettre la liste à jour des membres de l'association au comptoir à l'accueil, puis aller nager et jaser. Ça me fait de l'exercice de plus, avec l'aérobie le lundi et le mercredi.

On va quand même essayer de ne pas aller chercher un cinquième contrat, ceci dit. C't'assez.

*

Parlant de suppléance.

Mon tout premier jeudi de suppléance, j'étais avec le secondaire.

Non non, faîtes pas cette face-là: j'étais contente! Après deux semaines principalement passées avec les maternelles, et donc à m'obstiner à tous les jours sur le pourquoi du comment qu'il faut mettre ses mitaines pour aller dehors à la récréation, j'étais soulagée d'aller jouer avec les grands pour une journée.

Et puis, c'était assez relax. Le prof que je remplaçais avait laissé du travail individuel pour ses élèves, alors je devais juste surveiller, en fait. J'ai passé la matinée à préparer mes ateliers du lendemain, entre mes rondes autour de la classe (juste pour m'assurer que personne ne jouait à des jeux Facebook sur son ordinateur).

Le matin a été vraiment facile.

L'après-midi, un peu plus sportif. C'était avec l'âge ingrat du je-suis-presque-parmi-les-plus-vieux-de-l'école-mais-pas-tout-à-fait. Les 12e année sont apparemment très calmes (bien qu'un peu amorphes parfois), mais la 11e année, c'est moche.

Bref, il a fallu que je circule dans la classe pendant toute la période pour m'assurer qu'un peu de travail se faisait. Il y en avait quelques-uns qui ne foutaient rien, mais tant qu'ils ne dérangeaient pas les autres, je les laissais vivre. Par chance, mes expériences de monitrice de camp m'avaient appris comment gagner le respect des adolescents en tant que jeune femme petite et pas du tout intimidante: la moquerie. Quand l'un d'eux commençait à tester mes limites, je lui lançais une réplique qui faisait rire tous ses amis, et après, il filait doux.

J'ai ironiquement eu le plus de mal avec la dernière classe de la journée, où il n'y avait que trois élèves. Les trois pires de la classe précédente. Cette fois, ils n'avaient pas d'amis que je pouvais faire rire. J'avais juste les poches. J'ai dû jouer le rôle de la police davantage, et m'obstiner avec eux toute la période sur tout un tas de niaiseries. 

J'étais soulagée quand la journée s'est terminée.

Bien que, j'y avais survécu et j'avais été malgré tout contente du changement d'air. Le lendemain matin, je retournais avec mes rouspéteurs de la maternelle.

("Ma maman dit que c'est correct si je mets pas ma tuque."

"Ouais, et moi je suis née hier. Mets ta tuque, le grand.")

*

Mon deuxième jeudi de suppléance, il y a eu tout un jeu de chaises musicales.

J'étais normalement censée remplacer le même enseignant que le jeudi précédent, toujours au secondaire, avec les mêmes groupes. Plus tôt en semaine, on m'avait dit que, finalement, ce ne serait que pour le matin, vu que les élèves de l'après-midi étaient en sortie scolaire. (Oooonh, quel dommage!)

Puis, la veille, on m'a dit qu'on avait besoin de moi toute la journée finalement, mais pour remplacer Christine, l'enseignante de 3e et 4e années au primaire.

Et le matin même, on m'a dit que j'étais finalement en 5e et 6e années pour la journée.

Ce qui faisait bien mon affaire, car 5e et 6e, c'est un peu l'âge magique où ils sont assez vieux pour faire des activités avancées et dynamiques sans que ça vire au fiasco, mais ils sont encore assez jeunes pour être de bonne humeur. La planification laissée par Karen, l'enseignante que je remplaçais, était assez simple. Et puisque certaines périodes étaient déjà avec d'autres enseignants (Français se faisait avec Pierre, et anglais avec Kim), ce n'était rien de terrible.

Pendant la période avec Pierre, nous sommes allés visiter la mairie et avons eu droit à une séance de questions et réponses avec la mairesse de Hay River, qui nous a expliqué le fonctionnement de la mairie et de la politique locale. Les élèves ont pu poser des questions et ont très bien fait ça.

Bref, j'ai passé une belle journée avec les 5/6.

Le même jour, j'ai rencontré le mari d'Aline, une assistante d'enseignement qui était arrivée juste après mois en septembre. Avant d'emménager à Hay River tout récemment, ils habitaient à High River, Alberta. Hay River, High River... tout pour rendre ça simple, quoi.

Olivier, le dit mari, avait commencé à faire de la suppléance à l'école aussi. C'était sa première journée, et c'est lui qui remplaçait dans la classe de 3e et 4e années, finalement. On m'avait dit, à mon arrivée le matin, que cette classe pouvait bénéficier d'une présence masculine. La féministe en moi était offusquée, mais l'insécure en moi était aussi soulagée d'avoir été assignée à la classe facile.

Au secondaire, puisque plein d'élèves étaient absents en raison de la sortie scolaire préalablement mentionnée, ils avaient finalement combiné les élèves restants en une seule classe, pour utiliser leurs suppléants plus efficacement.

*

Le lendemain, vendredi, Klaudia n'était pas là: elle partait en voyage pour un peu plus d'une semaine. Ce qui voulait dire que je travaillais avec Diane (enseignante de maternelle, et aussi colocataire à la maison de Soraya) au service de garde en attendant.

Les vendredis, Diane a des rencontres importantes pour les enseignants, alors elle devait me laisser seule avec les enfants pendant quelques périodes. Et ça, ça voulait dire qu'on n'irait pas à la piscine avec les enfants. Il faut être deux adultes pour qu'une sortie comme ça se passe bien.

La piscine avec les enfants, ça me donne mal à la tête, mais l'avantage, c'est que ça tue pas mal de temps. Cinq heures et demie de garderie le vendredi, c'est long.

Diane et moi avions donc un plan: petite récréation dehors, puis dîner à l'intérieur. Ensuite, 30 minutes de relaxation (sieste, lecture, repos). Et après ça, pendant que Diane serait en rencontres, nous allions cuisiner ensemble des muffins au carotte. Une autre recette pour un mal de tête (onze enfants dans une cuisine, c'est jamais reposant), mais qui tue pas mal de temps. Et puis, on avait des carottes qui allaient passer date dans le frigo.

La moitié des enfants m'ont "aidée" à faire les muffins, l'autre moitié se battait avec les coussins du divan. Pendant que ça cuisait, je les ai envoyés jouer dans la classe. Puisqu'on utilise la classe de maternelle, on a accès à beaucoup de jouets et espaces de jeux intéressants.

On a mangé des muffins, puis on est allé surprendre les enseignants pendant leur gros meeting avec des muffins. Et quand on s'est assuré que tout le monde en avait eu, on a coupé le reste en petits morceaux parce que tous les enfants en voulaient encore.

On est allé jouer dehors de nouveau, puis on est rentré faire du bricolage. Et finalement, on les a laissés jouer librement dans la classe.

Ça a été long. À chaque activité, on avait eu des boudeurs/chialeurs/rouspéteurs. Mon mal de tête, il était bien ancré.

Je suis rentrée, je me suis mise en pyjama, et je me suis écrasée dans mon lit.

*

N'ayant pas de voiture, les sorties de fin de semaine sont difficiles à planifier. Le système de transport en commun par ici est, disons... inexistant. Il faut trouver quelqu'un avec une voiture qui a envie de t'emmener. Il est possible de louer une voiture, mais je n'ai pas encore fait de recherches sur les prix. J'ai plutôt profité de mes fins de semaine pour me reposer et avancer mes projets d'écriture, tranquillement à la maison.

Bref, vendredi, Aline m'a approchée à l'école et m'a dit qu'elle allait visiter Fort Smith le lendemain, avec son mari et son fils. Je ne sais pas ce qui lui a fait penser à moi, mais elle a eu l'idée de m'offrir de les accompagner. Fort Smith est à 3 heures de route de Hay River, alors sans voiture, la visite est hors de portée.

C'est ainsi que samedi matin à 8h15, Olivier, Aline, et leurs fils Daniel venaient me chercher pour un petit road trip de fin de semaine.

Google Maps indiquait que la route prendrait plus de quatre heures, mais avec Olivier au volant (et une autoroute vide), nous avons atteint Fort Smith vers midi. Et ça, c'était en ayant fait tout un tas d'arrêts ou détours en chemin pour un peu de tourisme.

Nous nous étions d'abord arrêtés dans un parc-slash-site-de-camping dont j'oublie le nom, où nous pensions voir des chutes. Nous les avons entendues, mais n'avons jamais trouvé le point de vue qui nous permettait de voir au-delà des arbres. Chaque fois que nous trouvions une éclaircie, nous avions dépassé la chute et étions trop loin pour la voir.

Ça ne gelait pas, mais il faisait définitivement un petit peu trop froid pour le manteau d'automne que je m'obstine à porter jusqu'à ce que ce soit indéniablement l'hiver. Aline, quant à elle, craignait les ours, alors on ne restait jamais très longtemps hors de la voiture. Nous ne sortions que pour aller prendre des photos, admirer la vue, ou aller ramasser la bouteille d'eau qu'Olivier avait oubliée sur le toit de la voiture et qui avait pris son envol au départ.

Le Grand Nord, Épisode 2: Chu où, moé?
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Le deuxième détour a été pour aller voir les "Salt Plains". Il y avait un point d'observation avec vue sur, vous l'avez deviné, des plaines, traversées par une rivière salée. L'été, on peut aller se promener plus bas, et même aller se tremper les pieds dans l'eau.

Mais par temps froid, on prend quelques photos, et on s'en va.

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Les autres arrêts ont vraiment juste été pour prendre en photo tous les bisons que nous avons croisés en chemin.

En comptant l'aller et le retour, nous en avons vus six, je crois. Tous des mâles, il semblerait, car ils sont portés à être solitaires. Ils étaient paisiblement en train de marcher, manger ou se reposer, juste comme ça sur le bord de l'autoroute. Ils ne voyaient pas beaucoup de preuve de l'existence des humains (nous avons dû croiser plus de bisons que de voitures sur cette autoroute), mais même quand nous arrêtions pour ouvrir la porte de la camionnette et prendre des photos (et pour que Daniel leur adresse des bruits de pet), ils ne bronchaient pas du tout.

Des bêtes calmes et difficiles à impressionner. 

Le Grand Nord, Épisode 2: Chu où, moé?
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Nous avons aussi croisé une moufette, mais cette fois, Aline n'a pas trop voulu laisser Daniel lui adresser des bruits de pet, elle devait avoir peur que la moufette décide de répondre.

À la place, Olivier a klaxonné, et Aline était bien fière.

"Olivier! Elle a levé la queue!"

"Ah bon? J'ai pas vu ça."

Heureusement, la forêt s'est avérée une porte de sortie plus facile et la moufette a disparu entre les arbres.

*

Juste comme Daniel commençait à se plaindre qu'il en avait marre, des arbres, nous sommes arrivés à Fort Smith.

Nous avons parcouru la petite ville (plus petite que Hay River) en voiture. Certes, il n'y a pas beaucoup d'attractions, mais on a quand même fait quelques arrêts photo: la rivière, la pancarte d'accueil à l'entrée de la ville, et bien sûr, les pancartes d'arrêts en quatre langues (deux langues autochtones, suivies de l'anglais et du français).

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Nous nous sommes arrêtés devant le Bed & Breakfast "The Whooping Crane", parce que des amis d'Aline et Olivier connaissaient la propriétaire et leur avait demandé de lui dire bonjour de leur part. Initialement, ils avaient regardé en ligne pour réserver et y passer la nuit, mais ils avaient vu que c'était complet. Ils avaient donc décidé de faire de leur excursion une visite d'une journée (et m'avaient par le fait même invitée à me joindre à eux).

Stationnés devant le Bed & Breakfast, nous avons appelé pour demander s'il était possible d'entrer et dire bonjour. Après avoir rassuré la dame que, non, nous n'étions pas des clients imprévus, nous avons reçu l'invitation pour entrer, à condition d'être tolérants envers le désordre.

La maison était charmante, et détonnait dans ce paysage de maisons de campagne pas toujours bien entretenues. Elle était plutôt récente, et construite en bois ronds. La forme de la maison était circulaire, sans coins. Vraiment intéressant.

Mais notre première pensée en entrant fut plutôt: quel désordre? Tout était propre, à sa place, et joliment décoré.

La dame, qui était française, nous a chaleureusement accueillis. On voyait qu'elle était de nature bavarde, car en cinq minutes, elle avait déjà commencé à nous raconter tout plein d'histoires sur la communauté de Fort Smith. Nous n'avions même pas encore retiré nos manteaux.

Aline lui a demandé d'où elle venait. La dame, Christine, a répondu qu'elle était bretonne.

"Où en Bretagne?"

"Nantes."

"Non... c'est pas vrai!"

Aline vient de Nantes aussi.

Et c'est ainsi que nos 5 minutes pour venir dire bonjour se sont transformées en deux heures, où nous avons eu droit à une visite guidée de toute la maison, ainsi qu'à de longues conversations autour d'un café dans le salon.

Nous avons finalement quitté vers 14h15, principalement parce que Daniel mourrait de faim et devenait plutôt intenable. Christine ne nous a toutefois pas laissés partir avant d'offrir à sandwich au pauvre Daniel, même si nous allions manger directement après ça. (Le mari de Christine, qui est Écossais, a tenté de nous inviter à dîner, mais là, on a établi la limite. Nous n'allions pas exagérer.)

Aline et Olivier pensaient repasser une prochaine fois dans le futur, et cette fois réserver une chambre. (Nous avions choisi une fin de semaine où le couple avait décidé de ne prendre personne en fait, pour se donner un congé.) Définitivement, ça avait cliqué, car même une fois les manteaux remis, nous avons passé quinze bonnes minutes dans l'entrée à discuter.

Ou, devrais-je dire, Olivier parlait de pâtisseries avec le couple (quelqu'un avait fait l'erreur d'aborder le thèmes des desserts, et Olivier avait été pâtissier dans une autre vie). Nous sommes sortis lorsqu'Aline a réussi à convaincre son mari de parler de babas au rhum la prochaine fois.

En sortant, Olivier a tenté de taquiner Aline. "Et toi qui disais qu'on serait là cinq minutes."

Aline a secoué la tête. "Ce n'est pas moi qui n'arrêtais pas de parler."

Nous sommes remontés dans la voiture, et sommes allés manger au restaurant qui avait probablement été l'une des principales motivations de cette visite à Fort Smith: Tim Hortons. Il n'y en a pas à Hay River (qui est ironiquement plus grand que Fort Smith), et qui sait quand nous aurions la chance d'en remanger? Il y a plusieurs chaînes de fast food à Yellowknife, mais une fois en dehors de la capitale, il n'y a plus grand chose.

C'est peut-être pour le mieux en fait.

Une chose est sûre: c'est à Fort Smith que nous avons réalisé à quel point, les Territoires, c'est une petite communauté. Christine du Bed & Breakfast pouvait nous nommer la majorité des personnes qui travaillent à l'École Boréale à Hay River. Klaudia passe même régulièrement les voir, semble-t-il. Si on parlait de quelqu'un qui avait déjà vécu à Fort Smith, même si c'était brièvement, il y a dix ans, Christine s'en rappelait au moins un petit peu. 

Elle nous racontait qu'à chaque fois qu'ils allaient à Yellowknife, ils recevaient des nouvelles d'un peu tout le monde, que ces gens soient à Hay River, Inuvik, ou autre. Quand ils revoyaient ces gens-là directement par après, ils connaissaient déjà les nouvelles.

C'est comme un village.

Éparpillé sur 1 000 000 de kilomètres carré.

*

Plus tard en après-midi, alors que nous essayions des mitaines en fourrure de castor, de phoque et de loup dans la boutique d'un hôtel local (sans bien sûr avoir l'intention d'en acheter, au prix que ça coûte), j'ai reçu un message texte de Soraya.

"Le frigo est mort. Tout est dans des glacières dehors. Je fais un souper de l'action de grâces à soir, parce qu'il faut cuire la dinde que j'ai achetée."

Nous étions encore à Fort Smith et il était un peu avant 16h. J'ai répondu que nous ne savions pas à quelle heure nous reviendrions. Et nous voulions encore faire un petit détour par Fort Fitzgerald, une petite municipalité juste au sud de la frontière avec l'Alberta, à 23 km de Fort Smith.

Attractions à Fitzgerald? Aucune. 

Raisons de visiter? Parce que c'est la seule chose qui apparaît sur Google Maps à proximité de Fort Smith, et quelle autre opportunité aurions-nous de voir de nos propres yeux ce qui se trouve là-bas?

Ce qu'il y a là-bas, après vérification: 3-4 maisons, une rivière. Wow.

On a fait le tour en deux minutes, puis on a fait demi-tour, sans même avoir mis le pied hors de la voiture.

De quoi effrayer les locaux, qui ne doivent pas voir des voitures souvent par chez eux.

*

Nous sommes arrivés à Hay River vers 20h. Il faisait déjà nuit.

Il y avait deux voitures de plus qu'à l'habitude devant chez moi, je me suis dit que le souper de Soraya devait achever. Alors que je descendais de la voiture et que je remerciais Aline et Olivier pour la sortie, Soraya est sortie sur le balcon et nous a annoncé qu'ils n'avaient pas encore commencé à manger. On attendait quelques personnes encore, et Olivier et Aline (ainsi que Daniel, bien sûr) étaient les bienvenus.

Aline et Olivier se sont regardés, comme pour essayer de prendre une décision commune, tout en silence. Je leur ai rappelé que notre frigo était mort, et que Soraya ne voulait pas de restants. L'invitation n'était pas que polie, elle provenait aussi de la nécessité de la situation. Ça a semblé éliminer toutes leurs hésitations. Ils ont stationné la voiture et sont venus nous rejoindre à l'intérieur.

Et c'est ainsi que nous avons eu un party de l'action de grâce improvisé, en ce samedi 12 octobre. Il y avait Édith de l'asso; un couple d'amis d'Édith, qui étaient de passage à Hay River avec leurs deux enfants; Elom le professeur d'éducation physique, avec sa fille; Aline, Olivier et Daniel; et bien sûr les habitantes de la maison, Soraya, Diane et moi.

La fête ne s'est pas terminée très tard, mais quand les derniers invités ont quitté, vers 22h30, j'étais déjà en pyjama.

Je pense que je vieillis...

*

Après un mois à Hay River, et plus particulièrement sur la rue Caribou Crescent, on peut dire que les femmes de la maison apprennent à se connaître.

Soraya a fait une découverte choquante l'autre jour.

Diane et moi cuisinions chacune de notre côté, concentrées, et silencieuses. Soraya s'est approchée, curieuse. Elle a observé les aliments en cuisson pendant un instant, puis a lâché une question qui semblait lui trotter en tête depuis quelques temps.

"Coudonc, t'es-tu végétarienne!?"

J'ai hésité.

"Kind of?"

Disons que je suis une végétarienne qui triche. Mais à la maison, je ne cuisine jamais avec de la viande; je n'en achète jamais, à part du poisson de temps en temps. La viande, je n'en mange que lorsqu'on m'offre de la nourriture gratuite (comme quand les élèves de la classe de santé d'Elom cuisinent des pâtes au poulet à l'école et qu'ils en offrent ensuite au personnel), lorsque je vais au resto et que les options végé sont moches, ou quand je mange chez les autres.

Bref, c'est ce jour-là que Soraya a compris pourquoi ma partie du frigo est toujours pleine de légumes et de tofu, et Diane a enfin compris pourquoi le chat ne venait pas m'achaler quand je cuisine. Diane, pendant ce temps, jonglait sa viande, son couteau, et le chat.. 

Un autre mystère de la vie résolu.

Rédigé par la-grande-fugue

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