Chapitre 3: Les maux de tête (a.k.a., Les semaines un à trois)

Publié le 4 Septembre 2019

Chapitre 3: Les maux de tête (a.k.a., Les semaines un à trois)

Semaine Un: Habsberg

C'était le dimanche 28 juillet. Anne-Marie venait nous chercher chez nos familles d'accueil un par un, enre 14h et 14h30, afin d'aller tous ensemble à Habsberg, notre premier de cinq camps pendant la période estivale.

Le congé scolaire en Allemagne est de six semaines, et LEOlingo organise des camps à chacune de ces six semaines, mais les moniteurs ont normalement droit à une semaine de congé, ce qui veut dire qu'un moniteur travaillera normalement dans 5 camps pendant son contrat.

C'était l'heure de dire aurevoir à la famille qui m'avait gentiment accueillie chez eux pendant les dix jours de formation. Au dîner, j'ai remis à la famille un petit cadeau. Je n'avais rien du Canada, n'ayant pas mis les pieds au pays depuis Noël, mais j'avais un petit quelque chose de l'Espagne: de l'huile d'olive. (Quoi d'autre?) Ce n'était pas grand chose, mais ils ont semblé touchés.

Cati a insisté pour prendre quelques photos de moi avec les enfants, avec lesquels je n'avais pas beaucoup eu la chance d'interagir, puisque j'étais revenue presque tous les soirs tard, après la formation et les sorties au Biergarten. Malgré tout cela, ils allaient me manquer un petit peu.

J'étais la dernière à être ramassée. Anne-Marie est passée vers 14h40. Ce fut le dernier aurevoir avec Cati, et puis c'était parti.

Chapitre 3: Les maux de tête (a.k.a., Les semaines un à trois)

*

Habsberg est un camp relativement nouveau. L'an dernier, c'est là qu'ils avaient tenu leur camp de cinéma, où les jeunes réalisent leur propre court métrage pendant la semaine.  Puisque les lieux présentaient du potentiel pour un plus gros camp, cette année, on y tenait un camp d'escalade, avec deux groupes. On irait faire de l'escalade le mardi, et le reste du temps, ce serait la programmation régulière de LEOlingo.

Nous sommes arrivés vers 15h. Puisque le camp commençait à 17h, on pourrait croire que ça nous laissait amplement de temps libre pour nous préparer, mais les parents Allemands sont fidèles à leur réputation, et se montrent donc excessivement ponctuels. Ils allaient commencer à arriver sous peu. Nous avons donc fait un tour rapide des lieux, nous avons monté le matériel jusqu'aux salles de classe, puis Anne-Marie est allée commencer à accueillir les premiers arrivants.

Je n'avais jamais été à ce camp, alors je ne connaissais pas les lieux parfaitement. Carl et moi avons pris une petite marche dans les environs pour déterminer où nous pourrions exécuter nos activités du soir. Il n'y avait pas de grands espaces extérieurs, mais il y avait une forêt juste derrière l'édifice, où nous pourrions jouer à Paint Monster, un jeu où il fallait collecter différentes couleurs à différents endroits sans se faire prendre, pour gagner des points pour son équipe.

Il fallait juste espérer qu'il ne pleuve pas, parce que ça ruinerait nos plans un petit peu.

Mais chaque chose en son temps.

Pendant que nous nous préparions mentalement, les jeunes arrivaient. Déjà, je reconnaissais certains visages de l'an dernier. Parmi eux, il y avait notre "returner" suprême, un jeune qui fait deux camps LEOlingo par année depuis quatre ans. Appelons-le Marcel, pour le principe du respect de la vie privée des jeunes campeurs.

Marcel, il a 14 ans. Il est grand pour son âge, et il a une attitude très... alpha, si je peux dire. Un peu boss des bécosses, si je me permets cette expression. Selon sa mère, il adore LEOlingo et ne fait que parler des camps pendant le reste de l'année. Ça nous surprend toujours un peu parce que, quand il est avec nous, il se comporte comme s'il connaissait déjà toutes les activités et que tout l'emmerdait. Il parle constamment en même temps que les moniteurs, il n'écoute jamais, et de sa voix forte et portante, il critique tout ce qu'on présente.

Et parce qu'il se comporte comme le roi de la place et que les autres garçons l'acceptent comme leur alpha, s'il décide qu'une activité est poche, les autres suivent.

Bref, je me souvenais de Marcel, qui avait été à un de mes camps l'an dernier, mais heureusement pas dans mon groupe. Il est généralement mémorable.

À son arrivée à Habsberg, il était bien gentil, de bonne humeur, et il semblait tout excité d'être de retour à LEOlingo. Il nous parlait, à Anne-Marie et à moi, des anecdotes comiques dont il se rappelait de l'an dernier. Je me suis dit, tiens, peut-être qu'il a mûri.

Haha, Caroline. Toujours aussi naïve.

Il a fait chier toute la semaine.

Il y avait d'autres jeunes qui étaient revenus de l'an dernier.  Parmi eux, Georges, un petit blond tout mignon sur lequel nous étions toutes pâmées l'an dernier. Eh bien, en un an, la puberté a fessé, et puis pas à peu près, parce que cette année, il était le pire jerk ever. Dans les trente premières minutes du programme du soir, il me dirait déjà de me la fermer et me pousserait quand j'essaierais l'approche douce. Certes, il se ferait alors parler à quelques centimètres de la face et il baisserait le ton un peu par après, mais il serait un cas difficile toute la semaine.

Et au travers de tout ça, il y avait aussi le plus vieux des enfants d'Andrea, qui, bien que généralement participatif et parfois positif comme leader dans le groupe, demeure bien conscient qu'il peut se permettre bien des choses, étant le fils de la boss.

On avait une belle semaine devant nous.

Oh, et il a plu pendant le programme du soir après tout.

*

On a survécu à notre première soirée. 

Pendant que les jeunes étaient lâchés loose jusqu'au couvre-feu, les moniteurs respiraient un peu dans l'une des salles de classe, maintenant vide et silencieuse.

Tom trouvait qu'il avait un bon groupe (il avait le groupe de 11-12 ans, toujours le groupe d'âge plus facile). Steph commençait à réaliser que son groupe allait la faire baver. (13-14 ans... un moins bel âge.) Carl et moi, on essayait de resolidifier nos cerveaux avant d'aller envoyer tout le monde dans leurs chambres et dans leurs lits.

À la fin du programme du soir, une fille du groupe de Tom était venue me voir pour demander si elle pouvait appeler sa mère. Mon alarme interne s'était aussitôt déclenchée: on avait notre premier cas de homesickness. La fille n'était pas en larmes, mais je savais bien que ça pouvait empirer rapidement. Je lui ai dit que, quand je passerais dans sa chambre plus tard, on pourrait en parler.

Un peu avant le couvre-feu, je suis allée la voir dans sa chambre, et au lieu d'aborder le sujet d'appeler à la maison, j'ai montré mes bracelets aux trois filles de la chambre et je leur ai demandé si elles voulaient apprendre comment en faire. J'ai fait ça paraître comme si elles avaient droit à un cours spécial et exclusif, juste comme ça, sans raison, mais l'idée, c'était de leur donner de quoi à faire dans leurs temps libres. Le truc, c'est de ne jamais être pris à ne rien faire. C'est là qu'on s'ennuie, et que le malaise frappe.

Ça a dû aider, car nous n'avons plus eu de problèmes avec cette jeune fille, qui est en fait devenue l'une de nos préférées à Tom et à moi pendant le reste de la semaine. Gentille, serviable, toujours de bonne humeur. On en a pas toujours, des comme ça.

Les jeunes ont été têtus quand est venue l'heure du coucher, mais vers 23h30, c'était déjà tranquille. En cette première soirée, on a pu aller se coucher avant minuit.

*

Le deuxième jour, j'étais un peu nerveuse. La première soirée avait été un peu chaotique, et je me préparais mentalement à gérer l'impertinence des jeunes du groupe de Steph.

Étonnamment, ça s'est bien passé. On a fait un quiz, qui s'est en général bien déroulé, à part le fait que les questions sur thèmes de culture populaire étaient trop faciles. (C'est dans ces moments que je réalise que je ne suis pas du tout sur la même longueur d'onde que les jeunes. Ce que je pense être facile est difficile pour eux, et vice versa.)

Ensuite, on a organisé des olympiques, où Coach Carl invitait chaque équipe, qui représentait chacune un pays (Canada, USA, Australie, Angleterre), à participer à une série de courses et activités sportives. Coach Caroline n'aurait probablement pas eu autant de succès, mais nos cas difficiles étaient déjà en amour avec mon collègue masculin, alors ils ont suivi sans problème. On a eu du fun.

Anne-Marie était de passage, principalement pour déposer du matériel supplémentaire, mais elle en a profité pour rester et observer un peu.

C'est toujours un peu stressant quand un membre de l'équipe administrative nous observe. Ils ont beau tous être gentils, on a toujours peur de faire des conneries juste comme ils sont là pour nous voir les faire.

En général, on ne s'est pas trop humilié, je dirais. La soirée s'est bien déroulée. Anne-Marie n'a pas eu l'air trop perplexe.

À la fin de la soirée, pendant que les jeunes brûlaient leur énergie à courir et gueuler dans les couloirs des dortoirs, les moniteurs étaient de nouveau réunis, à apprécier le silence dans une salle de classe déserte.

Tom commençait à réaliser que son groupe n'était pas si parfait: il avait quelques personnalités un peu difficiles à gérer par moments. Steph était plus positive: elle avait réussi à gagner le coeur de ses gars cool à travers ses habiletés sportives. C'est l'une des choses qui fait de Steph une bonne monitrice pour les ados: elle excelle autant en sport qu'en musique. Quand il est temps de chanter, elle joue du piano et permet à son groupe de réinterpréter leurs chansons favorites. Et quand il est temps de faire du sport, elle est la meilleure athlète sur le terrain. Elle gagne ainsi le respect autant des filles que des garçons dans son groupe.

C'est ce qui me manque: la moindre habileté sportive. J'ai mes qualités, mais avec les ados cool, la seule façon de les gagner, c'est souvent en grande partie à travers le sport. Et mon incapacité à évaluer les distances (et donc à attraper un ballon) m'empêche de faire semblant de savoir ce que je fais sur le terrain.

Sans vouloir transformer cette publication en un autre éditorial féministe, ça demeure énervant de constater à quel point il est difficile pour les monitrices de gagner le coeur des ados cool. Plusieurs jeunes femmes dans notre équipe de moniteurs y sont particulièrement douées, alors ça ne veut certainement pas dire que c'est impossible. (Ça serait simple de pouvoir dire que j'ai du mal avec les ados juste parce que je suis une femme, mais ce serait aussi malhonnête.) Mais en même temps, pour qu'une fille réussisse, elle doit souvent exceller dans tout ce qu'elle présente. Si tu leur enseignes le hockey et que tu n'arrives pas à toi-même marquer un but, you're out. Si tu leur montres le football américain et que tu n'attrapes pas bien le ballon, you're out. S'il y a une guêpe géante dans la pièce et que tu n'es pas la première à prendre un balais et gérer la situation, you're out. Si tu vas faire de l'escalade avec les jeunes et que tu as peur des hauteurs, you're out. J'ai vu plusieurs de mes collègues masculins se faire pardonner certains de ces "faux pas". Mes collègues féminines, pas autant.

Mais bon, on ne réglera pas les problèmes de société en un article de blog.

En gros, Steph est douée avec les ados, et malgré ce qu'il en dira, Tom était bon avec son groupe aussi. Et Carl et moi, on s'en sortait aussi, malgré tout.

*

Être moniteur de nuit, c'est plus relax qu'être moniteur de jour.

On commence à travailler à 17h, on anime des activités entre 19h et 21h30, et après, on s'assure que tout le monde va se coucher, que les chambres sont tranquilles, et que personne ne pleure parce qu'il s'ennuie de maman et papa. On peut se coucher dès que les jeunes sont tranquilles, et bien qu'on ait à se lever tôt pour réveiller tout le monde, on peut aller se recoucher après le déjeuner.

Ça reste toutefois épuisant, comme horaire. Les moniteurs de jour sont constamment épuisés physiquement, car ils animent des activités presque non-stop entre 9h et 17h, et le soir, ils planifient leur journée du lendemain. Les moniteurs de soir, de leur côté, sont constamment épuisés parce qu'ils passent la journée à ne pas faire grand chose, et rendu au moment de performer, l'énergie n'est plus là.

À cet horaire peu pratique s'ajoutait le fait que j'étais la personne-ressource sur les lieux; j'étais responsable de m'assurer que tout allait bien, et lorsqu'il y avait un problème, c'était mon problème. Je ne me reposais donc pas beaucoup le jour.

Carl et moi avions notre routine. On ne faisait pas de planification le matin, nous étions tous deux trop zombies pour une telle folie. Après le déjeuner, on allait dormir de nouveau, et on se donnait rendez-vous vers 14h ou 15h pour planifier notre programme du soir.

Ou en tout cas, Carl allait se recoucher. Moi, je m'allongeais 10 minutes, et mon téléphone sonnait.

Un enfant était perdu.

Un enfant était malade.

Un moniteur avait besoin d'aide dans une activité.

Je soupirais, glissais mes pieds dans mes gougounes, et je repartais à l'aventure. Je me prendrais un café en après-midi pour survivre jusqu'au soir.

*

Mardi, nous allions faire de l'escalade en matinée.

Il fallait s'assurer que nous partions à l'heure, tout de suite après le déjeuner, vers 8h30. Il fallait marcher un peu le long de la côte descendante, parce que le bus ne pouvait pas monter jusqu'au sommet de la montagne pour nous rejoindre. (C'était rassurant de savoir que les gros véhicules pouvaient difficilement venir. Besoin d'une ambulance? D'un camion de pompiers? Meilleure chance la prochaine fois.)

Je n'avais pas confiance, mais par un quelconque miracle, nous sommes partis à l'heure, sans problème.

Au centre d'escalade, Andrea nous y attendait déjà, pour prendre des photos et aussi s'assurer que tout allait bien. C'était la première fois que LEOlingo faisait affaire avec ce centre, et elle voulait voir si ça se passerait bien.

Tom et Steph avaient déjà fait de l'escalade par le passé, ils s'y connaissaient, alors ils ont enfilé leurs souliers d'escalade et ont aidé les experts du centre. Carl et moi, de notre côté, étions plutôt inutiles. Mon expérience en escalade se limitait à la fois en sixième année où ma classe était allée en faire pour un après-midi. Apparemment, ça ne comptait pas vraiment.

Comprend pas.

J'ai donc supervisé la cafétéria où les jeunes venaient s'acheter de la crème glacée de temps en temps. Je me suis aussi acheté un cornet. Vraiment, ma job, elle est pas facile.

Nous sommes rentrés au camp vers 13h. Nous avons dîné, puis les activités du jour ont repris normalement, avec Tom et Steph. Carl est allé se coucher, et moi, j'ai lu, en attendant la prochaine catastrophe à gérer.

*

Andrea trouvait que notre programme du soir était un peu trop répétitif des années précédentes, considérant que nous avions beaucoup de jeunes qui en étaient à leur deuxième, troisième, quatrième (etc.) camp. Elle a proposé quelques activités qui étaient nouvelles, et après l'escalade, Carl et moi avons choisi l'une d'entre elles pour notre programme du soir: Pandemic. C'est un jeu où les jeunes doivent combattre une pandémie en allant trouver des seringues (réellement des bouts de ficelle) cachées dans la forêt, afin d'acquérir les quatre vaccins nécessaires à leur survie.

Sachant que notre groupe de jeunes était un peu dur à contrôler, je les ai fait s'asseoir par terre juste devant moi pour l'explication, et ça a bien fonctionné. Quand ils sont assis sur des chaises éparpillées, l'attention est tout aussi éparpillée. 

C'était une nouvelle activité, mais notre Marcel maintenait son attitude de "been there done that". Il levait les yeux au ciel et soupirait assez fort pour être entendu jusqu'au bas de la montagne. Comme quoi, notre programme répétitif n'avait pas été le problème, en fait. Mais une fois que nous avons réussi à passer au travers de l'explication, ils ont (presque) tous participé. Le fils d'Andrea a gagné la première place, ce qui a semblé faire réaliser à notre Marcel que ce n'est pas toujours cool de ne pas participer.  

Quand le jeu s'est terminé, Carl s'est occupé de les envoyer se chercher un bâton dans la forêt, pendant que j'allais allumer le feu de camp pour le reste de la soirée.

On a mangé des guimauves et écouté de la musique, et à part les 5 garçons qui essayaient de m'expliquer comment gérer mon feu (on pouvait constater qu'ils savaient vraiment de quoi ils parlaient par le fait qu'ils essayaient constamment de se sacrer les mains dans le feu pour aller bouger les bûches), on s'est bien amusé.

*

Quand on travaille à l'étranger, on fait parfois face à ce que l'on appelle le choc culturel.

Tom l'a bien découvert dans le courant de cette première semaine de camp.

Au souper, après avoir mené une séance de arts and crafts, il avait une histoire à nous raconter.

Tom: "I had a bit of a shock today. You will not believe this. We were doing spaghetti towers, and do you know what they did?"

Moi: "They ate all the raw spaghetti?"

Tom: "... Yes! Wait, how did you know?"

Little did he know, les Allemands sont fous du spaghetti cru. En tant que moniteur, on apprend vite qu'il faut cacher les bonbons ET le spaghetti si on ne veut pas qu'ils disparaissent mystérieusement.

Ce soir-là, le spaghetti a malheureusement été laissé en vue pendant le programme du soir, et il était impossible d'expliquer quoi que ce soit, parce que les garçons se relayaient pour se lever, traverser la salle, ramasser une o**** de poignée de spaghetti cru, et retourner s'asseoir à leur chaise. Il a fallu commencer à déduire des points aux équipes qui nous volaient du spaghetti.

Plus je m'offusque, plus ils veulent voler le spaghetti et le manger dans ma face. Ce qu'ils ne comprennent pas, c'est que la raison pour laquelle je suis scandalisée, c'est parce que les paquets de spaghetti se passent de semaine en semaine. J'ai vu des paquets de spaghetti être complètement renversés par terre, ramassés, rangés, et remis dans la boîte comme si de rien n'était. Et c'est normal, parce que c'est du spaghetti qui est là pour l'art plastique, pas pour les petites bouches rouspéteuses d'ados.

Mais, hey, si tu te penses victorieux parce que tu manges du spaghetti sale, you do you, buddy. Je ne t'arrête plus.

Et je vais cacher le spaghetti plus tard.

*

Le troisième soir, nous avions préparé un Meurtre et Mystère.

Sauf que le crime n'était pas un meurtre.

Tous les soirs au début du programme du soir, nous collectons les téléphones, et les jeunes les récupèrent le lendemain. Ce n'est pas toujours facile, car ils essaient toujours de me dire qu'ils l'ont oublié dans leur chambre, mais que c'est correct, parce qu'ils le donneront à Carl plus tard, à l'heure du couvre-feu. Chaque fois, je dois insister que, non, ils doivent aller le chercher tout de suite et me l'apporter. C'est normalement à ce moment qu'ils appellent Carl pour qu'il vienne les défendre. Maman a dit non? C'est pas grave: papa dira oui!

Carl leur dit évidemment la même chose que moi, mais parce que c'est Carl qui le dit, ils ne rouspètent plus et vont chercher leur téléphone.

(Moi, frue? Pfft.)

Bref, on collecte les téléphones tous les soirs, et on les range dans une salle verrouillée.

Nous avons commencé la soirée avec une petite chasse au trésor pour les faire courir un peu partout et s'épuiser. Puis, à leur retour, j'ai comptabilisé les points, annoncé l'équipe gagnante...

Et soudainement, Carl est entré dans la pièce, paniqué, dérouté. À la main, il tenait la boîte que nous utilisions pour collecter les téléphones. Elle était vide.

Les téléphones avaient été volés. Les suspects étaient les moniteurs. Ces derniers seraient éparpillés sur le site. En équipes, les jeunes devraient aller interroger chaque moniteur, puis revenir à la fin pour formuler leurs accusations.

Spoiler alert: Carl était le voleur. Il voulait les vendre sur eBay pour aller démarrer sa carrière d'acteur à Hollywood.

Toutes les équipes s'étaient donné le droit de fouiller dans mon sac pour trouver des indices, notre matériel était irréparablement bordélique, mais si on oublie ce détail, ça avait été une bonne soirée.

*

Enfin, jusqu'à ce que les jeunes se mettent à sortir de leurs chambres après le couvre-feu pour chanter à tue-tête des chansons de beuverie en allemand. Ils n'étaient que 25, mais on aurait dit une meute. C'est à ce moment que Carl et moi avons réalisé que, s'ils le voulaient, et qu'ils décidaient de se révolter contre nous, oppresseurs et voleurs de téléphones...

... on ne pourrait rien y faire, en fait. Vingt-cinq contre deux, on n'avait aucune chance.

Par chance, ils sont retournés se coucher sans trop de problèmes, mais..

... what if, tsé?

*

Jeudi était la dernière journée complète, et aussi la dernière journée avec un programme du soir.

Ça voulait aussi dire qu'il fallait planifier notre Happy-ning, le petit spectacle pour les parents avant le départ des jeunes, vendredi.

Les moniteurs doivent toujours présenter une petite performance au début du Happy-ning,  généralement sous forme de chanson populaire réécrite pour être une parodie de la job de moniteur de camp de vacances. Personne n'a jamais le temps d'écrire cette chanson.

Personne, bien sûr, à part les moniteurs de soir.

Puisque j'avais dû accepter que j'étais incapable de faire une sieste après le déjeuner, j'ai donc pris un matin pour retravailler les paroles d'une chanson de Taylor Swift, dont le titre semblait approprié: "You Need To Calm Down."

Voici le chef d'oeuvre que nous avons présenté aux parents le lendemain:

It is late at night, and it's bedtime,

But you are all awake, like it's daytime

And I'm just like, hey, it's eleven PM.

Chatting with your friends, that's real good fun,

But yelling in the hall, that's overdone,

And I'm just like, hey, are you OK?

 

And I ain't tryna mess with your self-expression but I've learned a lesson that stressin' and obsessin' about somebody else is NO FUN

And teens and groans never broke my bones!

 

So Oh-oh Oh-oh Oh-oh Oh-oh

You need to calm down

You're being too loud

And I'm just like, Oh-oh Oh-oh Oh-oh Oh-oh

You need to just stop

Like can you just not

Stay up all night

But I know you might!

*

En soirée, jeudi, nous avons gardé le meilleur pour la fin: Beat the Counsellor. Les jeunes pouvaient placer des paris (I bet I can run faster than Caroline!) et tenter de nous battre.

Les jeunes ont gagné, ils étaient bien contents.

"Win some, lose some," s'est exclamé Carl.

Et bien sûr, ça voulait dire que Carl wins some, Caroline loses some. J'avais perdu tous mes paris, il avait gagné tous les siens. J'ai perdu un défi de chant (le seul pour lequel j'avais vraiment une chance), un défi de faire rebondir un ballon sur mon pied, et un défi de course rapide. 

J'ai aussi perdu un concours de bras de fer contre un enfant de 11 ans. Bref, une soirée pas trop reluisante.

Plus tard, Tom me réconforterait, comme les Anglais le font si bien. "Oh, but Harold is a strong f*cking kid. I should know, I had to wrestle him off another kid the other day. He's a f*cking piece of work."

Thanks, Tom. Je sais pas si tu disais ça pour être fin, mais je l'apprécie quand même.

*

Pour le Happy-ning du vendredi, Carl serait le MC (l'animateur). Steph et Tom seraient en charge des déplacements de leurs groupes, et je m'occuperais de m'assurer que les groupes venaient attendre leur tour au bon moment.

Pendant que Steph et Tom complétaient leurs dernières activités avec les jeunes, Carl et moi vérifions le contenu des boîtes pour noter ce qui manquait pour la prochaine semaine, et nous préparions le nécessaire pour le Happy-ning.

À 14h30, nous avons réuni les groupes pour préparer la salle pour le spectacle, puis faire une pratique générale de tous les numéros, et ensuite distribuer les t-shirts bleus qu'ils reçoivent tous à la fin du camp. Parce que nous étions en Allemagne, les parents ont commencé à arriver vers 15h30.

C'était le showtime.

*

Le spectacle s'est bien passé.

Nous étions, après tout, un petit camp, avec seulement deux groupes. Ça rendait la chose plus facile à gérer.

La maman de Marcel est venue nous remercier à la fin. Je me rappelais d'elle comme une femme infiniment gentille, et j'ai pu voir que c'était toujours vrai. 

Pendant la semaine, on accumule beaucoup de frustration face à son fils, qui se comporte comme s'il était au-dessus de tout (et surtout de nous) toute la semaine. Mais quand on est devant sa mère, si douce, si gentille, on ne se sent pas la force de critiquer.

Elle nous racontait de nouveau à quel point Marcel adore LEOlingo et qu'il ne fait qu'en parler toute l'année. Et nous, on essayait de retenir les tics nerveux dans notre visage.

Par après, les autres moniteurs essayaient de comprendre comment un jeune qui affirme tant aimer LEOlingo peut ainsi se comporter. S'il veut tant revenir tout le temps, pourquoi passe-t-il la semaine à lever les yeux au ciel et affirmer qu'il a déjà fait tout ça?

No shit, dude, you've been here 8 times. Tu t'attends à quoi? 

J'y ai réfléchi un peu avant de répondre. "From what I've gathered over time, I think he's not a cool kid in school. But he is a cool kid at LEOlingo. I don't think he necessarily loves the activities here, but he loves the social dynamics here. For a week, he's the king."

Les autres y ont pensé un peu. "That... actually makes a lot of sense."

Les ados insupportables sont rarement insupportables juste parce qu'ils en ont envie. Souvent, il y a une raison.

Comme l'autre, qui me disait de me la fermer le premier jour. Lui qui avait été si mignon l'an dernier, et si merdeux cette année. La puberté a fessé fort, mais à voir à quel point il obsédait sur son apparence de masculinité et le mot "gai" utilisé comme insulte... en tout cas, je suis pas qualifiée pour analyser ce qui se passe dans la tête des jeunes comme ça, mais je me dis, il essaie peut-être de compenser pour certaines insécurités. C'est dur, d'être ado. Il faut surtout pas être différent. 

Bref, on était passé au travers de la semaine. Tobi, le mari d'Andrea, nous a reconduit à Neumarkt, où on a pris le train vers Nürnberg. Les autres s'étaient réservé un airbnb tous ensemble, mais ils avaient été tellement dernière minute pour le faire, et étant de nature stressée, je m'étais réservé un airbnb à moi seule un peu plus tôt. On a pris chacun notre chemin, pour aller nous reposer avant la semaine suivante.

*

Annafest, à Forchheim.
Annafest, à Forchheim.

Annafest, à Forchheim.

Semaine Deux: Pottenstein

J'avais passé la fin de semaine dans un airbnb, où Mary était finalement venue me rejoindre en revenant de sa semaine de congé à Berlin et en Pologne. Elle avait réglé son problème de passeport, et elle était prête pour sa vraie première semaine de travail.

Anne-Marie avait organisé un BBQ samedi à Nürnberg, pour les moniteurs qui étaient intéressés. Puisque le temps s'est révélé pluvieux, les plans ont été changés: la proposition était d'aller au Annafest, un festival bavarois à Forchheim, un petit village à 30 minutes en train.

Tout le monde s'est désisté, Anne-Marie a abandonné le projet. Mais Mary et moi étions têtues, et nous y sommes allées quand même, seules.

C'était une festival dans une petite ville de campagne. Je m'attendais à un petit événement local, rien de spectaculaire. Mais ça s'est révélé immense. C'était dans une forêt, ce qui rendait le passage de kiosque en kiosque et de manège en manège comme un labyrinthe.

Et il y avait une de ces foules...

Nous y sommes restées environ deux heures, le temps de faire le tour et de prendre une bière en riant des gens qui criaient dans les manèges. On essayait de repérer ceux au teint vert qui réalisaient que, finalement, un manège après plusieurs bières, c'était peut-être pas l'idée la plus brillante...

Nous sommes revenues vers minuit à notre airbnb.

Le lendemain, dimanche, le check-out était à 10h, alors nous sommes allées travailler un peu dans un Starbucks jusqu'à 13h, heure à laquelle Susana, de LEOlingo, venait nous chercher pour nous emmener à notre prochain camp.

*

La deuxième semaine était à Pottenstein, un autre site auquel je n'avais jamais été auparavant. Et cette fois, ce serait un gros camp, avec quatre groupes, donc le double de ce que nous avions la semaine précédente à Habsberg.

L'équipe était différente. Steph, Tom et Carl avaient été déplacés à Vorra, où ils travailleraient avec Tito. À Pottenstein, les moniteurs de jour seraient Michela (Canada), Marli (Australie), Nick (Angleterre) et Laura (USA). Les moniteurs de soir seraient Matt (Canada), Mary et moi.

Malgré la tristesse de voir mes collègues de la semaine précédente partir, la nouvelle équipe présageait une belle semaine.

*

Pour notre premier programme du soir, nous avons commencé avec une chasse au trésor, et pour ensuite enchaîner avec une partie de Pandemic. 

Mary expliquait la première activité, alors elle s'est présentée en premier. Elle a entrepris l'ambitieux projet de donner un high five à tout le monde dans la salle, alors pour maintenir une ambiance relativement dynamique, je me suis joint à son projet, et j'ai commencer à donner des high fives à mon tour.

J'essayais d'aller vite, alors quand un enfant ne comprenait pas mon intention en moins d'une demi-seconde, je lui donnais un doux high five sur le front, et je passais au suivant. Vers la fin de ma tournée, un jeune ado me regardait un peu confus, alors je lui ai donné mon petit high five sur son front.

Je ne sais pas trop comment c'est arrivé. Suis-je secrètement Wonder Woman, et ignorante de ma propre force? Le garçon était-il tellement mou qu'il n'a offert aucune résistance? Sa tête s'est renversée vers l'arrière et est allée se cogner directement contre le mur. Ça a résonné dans tout le gymnase. J'ai entendu une expression de surprise généralisée, suivie d'un silence dans la salle. Scandalisée, je me suis fondue en excuses. Du coin de l'oeil, je voyais Matt, qui me regardait, les yeux ronds, abasourdi.

Je me suis dit, c'est fini, I am fired.

Le garçon m'a assuré en riant que tout allait bien. Je lui ai donné des bonbons pour me faire pardonner, et ses amis sont venus demander s'ils pouvaient aussi se faire frapper, si c'était ce qu'il fallait faire pour avoir des bonbons.

On s'en est sorti en riant. Et j'ai gardé ma job.

Mais depuis, le soir, quand je n'arrive pas à dormir et que je repense à toutes les erreurs commises dans ma vie, c'est ce moment qui réapparaît et me hante jusqu'aux petites heures du matin.

*

Ceci dit, cette batch de jeunes n'écoutait pas. 

À la fin de la première soirée, nous étions épuisés. Les activités avaient bien été, mais les explications étaient impossibles.

Quelques garçons allaient clairement nous poser des problèmes toute la semaine: pendant la partie de Pandemic, Matt et Mary avaient dû les surveiller pour s'assurer qu'ils ne sautaient pas par-dessus la clôture pour aller faire des conneries dans la forêt. Ils avaient aussi affirmé ne pas avoir de téléphones, pour ne pas avoir à les remettre au début du programme du soir. Nous savions que c'était de la belle bullshit, mais dans le chaos de la première soirée, nous n'avions pas vraiment pu nous obstiner avec eux. Il allait falloir les surveiller de près. 

La deuxième semaine ne s'annonçait pas plus simple que la première.

*

Après le programme du soir, ce n'est bien sûr pas terminé pour les moniteurs du soir. Il faut s'assurer que tout le monde se couche et dorme.

Ça a pris du temps, mais vers 23h30, l'aile verte, que Mary et moi supervisions, était tranquille. Allions-nous avoir droit à une bonne nuit de sommeil, déjà le premier jour? Quel luxe!

Et bien sûr, pas du tout une réalité.

Vers 23h40, je suis sortie de notre chambre (à Mary et à moi) pour aller faire une petite tournée. Mary s'était endormie entre-temps, mais puisque c'était tranquille, je me disais que je ferais un dernier tour avant de faire de même.

En sortant, je me suis pratiquement heurtée à un jeune garçon qui semblait hésiter à cogner à notre porte. Les yeux mouillés, il a demandé à appeler ses parents.

Et le shift des homesick kids commençait.

Je me suis assise avec le garçon; appelons-le Benoît. Je lui ai parlé, je lui ai dit que la première nuit est toujours la plus dure, mais que le truc, c'est de se garder les mains occupées. Je lui ai proposé de lui montrer à faire des bracelets; il semblait être de nature plus sportive, je ne savais pas s'il serait intéressé, mais il a acquiescé.

On a donc discuté tout en faisant des bracelets, jusqu'à un peu après minuit. Il semblait aller mieux, il est retourné se coucher, et je ne l'ai plus revu du reste de la nuit

Je pensais enfin pouvoir dormir. J'étais dans mon lit, à lire quelques pages, espérant m'endormir sur mon livre.

Puis j'ai entendu cogner à la porte.

C'était notre collègue Laura. "We have a homesick girl," qu'elle m'a murmuré dans l'obscurité.

Et le shift se poursuivait donc.

Laura avait terminé sa planification du lendemain assez tard, et alors qu'elle se dirigeait vers sa chambre pour aller dormir, elle avait constaté que la porte d'une chambre de filles était entrouverte. En y jetant un oeil, elle avait trouvé la petite Hannah en pleurs.

On a donc fait des bracelets, Hannah, Laura et moi. Laura n'avait pas à rester, mais elle voulait aussi apprendre la technique des bracelets. Elle pensait stratégiquement à quand elle aurait à être monitrice de nuit, et devrait à son tour gérer les enfants en pleurs la nuit.

Nous sommes restées avec Hannah jusqu'à presque une heure du matin. Puis, nous l'avons encouragée à aller se coucher. Elle semblait craintive d'être de nouveau laissée seule, mais elle a acquiescé. 

C'est souvent le problème: les enfants ne sentent pas de malaise tant qu'ils sont avec leurs amis dans leurs chambres. Mais quand tous les enfants dans la chambre s'endorment, et qu'un seul demeure éveillé, le silence amplifie le sentiment de solitude, et c'est là que ça frappe. C'est pourquoi il vaut toujours mieux, en tant que moniteur, d'attendre avant d'aller dormir, même si c'est silencieux depuis au moins dix ou quinze minutes. Parce que quand ce n'est plus le chaos, ce sont les larmes.

Bref, je me suis couchée vers deux heures du matin la première nuit.

Le lendemain matin, en réveillant les chambres, je constaterais que Hannah s'était endormie avec sa lampe de poche allumée. Je n'ai jamais su combien de temps ça lui avait pris à s'endormir. Mais pendant la journée, elle semblait bien.

Je me disais qu'on avait survécu à la première nuit, le pire était passé.

Ou en tout cas, c'est ce que je pensais.

*

Après le déjeuner, Matt, Mary et moi nous sommes assis ensemble pour planifier nos programmes du soir pour la semaine. Pour ce deuxième soir, nous pensions organiser un Minute To Win It, où chaque équipe doit choisir un représentant pour une série de défis ridicules, pour gagner des points. Par exemple, faire glisser un biscuit de son front jusqu'à sa bouche sans utiliser les mains, ou mener un ballon gonflé jusqu'à une ligne d'arrivée en soufflant dessus dans les airs.

Je me rappelais que nous avions fait cette activité à Wernfels l'an dernier, et ça avait vraiment bien marché.

Cette fois, pas de chance. Ça a foiré.

Les équipes ne portaient jamais attention, pas même quand leur représentant performait. Puisqu'il fallait passer une équipe à la fois pour chaque défi, le rythme n'était pas assez dynamique pour ce groupe de jeunes trop agité. Après un certain temps, nous avons changé d'activité, mais leur attention était déjà perdue depuis longtemps. Nous avons terminé le programme du soir énervés et emmerdés.

Par chance, nous n'avons pas eu de problèmes de larmes ce soir-là. Je suis restée éveillée longtemps, juste pour être sûre, et j'ai tenté d'écouter à la porte des enfants qui avaient été anxieux la première nuit, mais tout était calme.

Nous avions vaincu.

Ou en tout cas, c'est ce que je pensais.

*

Les garçons que nous avions identifiés comme cas-problème le premier soir se sont révélés tout aussi cas-problème qu'anticipé.

Tel que nous l'avions deviné, ils avaient bien des téléphones, et avec quelques menaces d'appeler leurs parents, ils l'ont admis.

Cette fois, nous collections les téléphones avant le souper, car comme ça, nous pouvions instaurer la règle qu'ils pouvaient manger quand ils remettaient leurs tue-cellules. Ça marchait mieux qu'au début du programme du soir.

Sauf, bien sûr, avec nos trois troublemakers.

Le premier jour, comme on le sait déjà, ils ont essayé de nous faire croire qu'ils n'avaient pas de téléphone.

Le deuxième jour, ils ont remis leurs étuis à téléphone, sans le téléphone. (Malheureusement, je n'ai noté le subterfuge que le lendemain, au moment de rendre les téléphones aux jeunes. Ça a presque été le crime parfait.)

Le troisième jour, ils ont essayé de se faufiler dans la salle à manger sans remettre leurs téléphones, et quand ça a échoué, ils se sont réfugiés dans leur chambre et ont entrepris une grève de la faim. Ou presque. Ils avaient accumulé les pommes qui étaient distribuées aux pauses pour la collation, et ils se gavaient de pommes dans leur chambre. Ils étaient prêts à y passer toute la soirée. S'il fallait remettre leurs téléphones pour manger, ils étaient prêts à skipper le souper. Ils écoutaient un film sur un de leurs téléphones en mangeant leurs pommes, pendant que je me tenais les bras croisés devant eux à attendre.

Éventuellement, je me suis tannée, et je suis allée relâcher mon arme de destruction massive: Michela.

Michela était leur monitrice de jour. Et elle avait accompli quelque chose que j'admirerais pour le reste de la semaine: elle avait gagné leur respect. Elle s'entendait bien avec eux, elle les taquinait et ils le prenaient bien. Elle les respectait, et ils la respectaient en retour.

(Side note: Je les respecterais volontiers, s'ils ne me traitaient pas de prof de merde dans mon dos, pensant que je ne les comprends pas. Mais bon, c'est la question de l'oeuf et de la poule. Lequel vient en premier: mon respect ou le leur?)

Bref, je suis allée chercher Michela, je lui ai dit que ses garçons refusaient de venir manger et de remettre leurs téléphones. Elle s'est retroussé les manches, et elle est partie à l'aventure.

Dix minutes plus tard, elle était revenue, avec les trois téléphones en main, et les trois garçons boudeurs derrière elle.

Je l'ai regardée, des étincelles dans les yeux.

"Teach me your ways."

Ce ne serait pas la dernière fois qu'ils causeraient des problèmes. Le lendemain, je leur rendrais leurs téléphones en leur faisant promettre qu'ils ne rouspéteraient pas au moment de les re-donner au souper. Ils ont promis. Pinky promise.

Mais évidemment, au souper, c'était la grève de la faim, prise deux. Cette fois, ils avaient fait un stock de bouts de pain au déjeuner, ils étaient prêts.

J'ai envoyé Michela de nouveau, ça s'est réglé rapidement.

"It's easy," qu'elle disait. "I tell them that I am missing out on dinner because of them, and they cave."

Bon, je leur dirais la même chose, et ils se diraient "starve, bitch". 

Mais hey, heureusement, on avait Cool Michela avec nous.

*

Le troisième jour, mardi, c'était la journée (partiellement) dédiée à l'activité spéciale. Cette semaine, nous faisions du Go-Kart et du tir à l'arc. Les jeunes (ou en fait, leurs parents) avaient préalablement choisi ce qu'ils allaient faire, et il fallait simplement s'assurer qu'ils allaient là où il fallait.

Michela, Mary et Marli sont allés faire du tir à l'arc. Laura, Nick, Matt et moi sommes allés faire du Go-Kart.

La partie la plus stressante de la journée était de s'assurer que les jeunes du tir à l'arc s'assoient à l'avant du bus, et le Go-Kart à l'arrière, et qu'ils descendent au bon arrêt. Une fois cette partie accomplie, le reste était simple. Des experts étaient sur les lieux pour expliquer et gérer la procédure.

Andrea était aussi là pour prendre des photos.

Principal apprentissage de la journée: je n'ai aucun talent en Go-Kart. À vrai dire, je suis particulièrement dangereuse.

Lors des explications, les employés du centre avaient averti: ne faites pas exprès de foncer dans les autres véhicules! Ce ne sont pas des autos tamponneuses. 

Dix minutes sur la piste, et je m'étais déjà heurtée de plein fouet à deux voitures. La vitesse changeait rapidement, et en panique, j'oubliais comment freiner.

"But... it's like a real car. It's the pedal on the left," me répliquaient mes collègues scandalisés.

O-KAY, Matt, qui est de 10 ans mon cadet et apparemment pas mal plus en possession de ses moyens. Rub it in, why don't cha.

Les jeunes, cependant, m'ont trouvée pas mal cool et hardcore. Ils me voulaient tous dans leur équipe.

"You'll knock out the competition!"

Eh ben, tout ce temps à essayer de comprendre comment être cool, et finalement, il fallait juste briser les règles et endurer un peu de whiplash le lendemain.

Crime, avoir su.

Moi-même, en train de mettre en péril ma sécurité d'emploi, en passant près de heurter le véhicule de ma boss.

Moi-même, en train de mettre en péril ma sécurité d'emploi, en passant près de heurter le véhicule de ma boss.

*

Le soir du troisième jour, on a joué à Stratego, un jeu créé par Tito, où chacune des deux équipes doit tenter d'aller voler le drapeau caché par l'autre équipe; chaque personne se fait attribuer un rôle, et lorsqu'il ou elle est touché par un membre de l'autre équipe, ils doivent comparer leurs cartes pour déterminer qui est le plus fort, et donc qui "tue" qui. C'est un jeu de stratégie, et ça marche toujours très bien.

On y a joué pendant près d'une heure et 45 minutes, et puis on a fait un feu de camp.

Ça a été ma soirée préférée de la semaine, même si on a perdu les guimauves. On a distribué des petits chocolats Toblerone, et les jeunes ont vite oublié le drame.

*

Puisque nous n'avions pas eu de problèmes de homesickness au deuxième jour, je pensais qu'on était passé au travers du pire.

Au troisième jour, ça a explosé.

Benoît avait parlé à son père au téléphone à tous les jours pour dire qu'il n'aimait pas le camp. Le papa a finalement accepté de venir le chercher. Il est parti en après-midi. Nous étions un peu sous le choc: pendant les activités, Benoît semblait pourtant bien s'amuser.

Nous avons su plus tard que les garçons-problème du groupe de Michela s'étaient moqué de lui pendant les pauses. Michela aurait une discussion avec ces derniers le lendemain, sur l'importance de donner l'exemple, en tant que groupe plus âgé.

Le même jour, Hannah s'est mise à pleurer incontrôlablement au début du programme du soir. Mary s'en est occupée pendant que Matt et moi gérions la partie de Stratego. Mary a tout essayé. Éventuellement, elle a dû appeler Andrea, qui a appelé les parents. Ces derniers ont cédé, et son venus chercher leur fille à 21h. S'ils avaient tenu le coup, on aurait probablement pu la réimpliquer dans les activités, mais quand les parents cèdent, il n'y a plus grand chose à faire.

Au total, nous avons "perdu" 4 jeunes dans le courant de la semaine.

Une fille du groupe de Michela est tombée malade lundi, avec des maux de ventre et de la fièvre. Son père est venu la chercher le jour même et on a désinfecté la chambre pour éviter une épidémie d'on-ne-sait-quoi dans le dortoir.

Benoît et Hannah, tous deux du groupe de Laura, sont partis le mardi parce qu'ils s'ennuyaient de la maison et les parents n'ont pas voulu utiliser l'approche tough love.

Mercredi, un garçon du groupe de Nick est aussi tombé malade, avec maux de tête et fièvre. Sa mère est venue le chercher dans le courant de la journée.

Jeudi, on a failli en perdre deux autres, qui avaient chacun des problèmes avec les garçons dans leur chambre respective. Il y avait Felix, qui avait la (mal)chance de partager une chambre avec les trois garçons-problème. Ces derniers faisaient du bruit, l'empêchaient de dormir la nuit, et n'étaient pas particulièrement amicaux avec lui. Puis, il y avait Thomas, garçon un peu plus jeune, encore naïf et innocent, aux prises avec une chambre de garçons obsédés par le thème du sexe; ils étaient du même âge, mais clairement pas au même stade de développement.

Les deux ont commencé à demander à rentrer à la maison à peu près en même temps. Rendu mercredi-jeudi, on se disait, merde, ils peuvent pas juste toffer jusqu'à vendredi?

On a finalement décidé de les changer de chambre pour les mettre ensemble. Ça n'a pas réglé tous les problèmes, mais au moins, avec ça, on a réussi à les garder jusqu'à la fin du camp.

Ouf...

*

À un moment donné, pendant que nous peignions les visages des jeunes pour distinguer les équipes pour Stratego, notre paquet de crayons à visage avait disparu. Personne n'y avait porté attention, parce que nous pensions tous qu'un autre moniteur les avaient ramassés.

Oh.

Si seulement.

Pendant le feu de camp, un jeune garçon du groupe de Nick est passé près de moi. J'ai senti quelque chose sur mon bras, puis le garçon s'est enfui en courant, mort de rire.

J'ai baissé les yeux vers mon bras, et j'y ai vu une trace bleue.

S'est ensuivie une féroce poursuite entre le garçon et ma propre personne. (Spoiler alert: l'enfant de 11 ans a gagné. Pas de chance.)

Nous n'avons jamais pu récupérer les crayons.

Mais nous avons bénéficié de nombreux maquillages spontanés pendant le restant de la semaine.

*

Le quatrième soir, mercredi, nous avons tenu un Meurtre & Mystère. Mais cette fois, il y avait vraiment eu un meurtre. (C'est-à-dire, un faux meurtre, au lieu d'un faux vol de téléphones.)

La victime: Laura. (Elle était celle qui se couchait le plus tard pour planifier ses journées, on se disait qu'elle allait apprécier de ne pas avoir à participer au Meurtre & Mystère toute la soirée.)

Les suspects: tous les autres moniteurs.

Cette fois, nous avions une histoire et des indices bien plus développés. Mary avait monté le tout, en s'inspirant des conseils donnés par ceux qui l'avaient fait dans un autre camp. Tout le monde avait son rôle, ses réponses à donner, et la personne sur qui ils devaient jeter des doutes. (Tout le monde pointe le doigt vers une personne différente, pour les forcer à parler à tout le monde.)

Pour garder la surprise, nous avions dit à tous les jeunes que nous aurions un party à 20h. De 19h à 20h, nous avons eu un pub quiz, puis nous avons envoyé les jeunes se changer pour la fête.

L'idée, c'était que, pendant que la musique jouait, Mary trouverait la tête ensanglantée de Laura (un ballon décoré pour l'occasion), hurlerait, puis enverrait les jeunes enquêter après quelques explications.

Malheureusement, au moment de débuter, Mary était de nouveau en train de gérer les enfants qui disaient vouloir rentrer à la maison. J'ai donc pris la relève. J'ai lâché mon pire hurlement, j'ai rassemblé les jeunes, ordonné aux garçons-problème d'arrêter de jouer au soccer avec la tête de Laura, et le jeu a commencé.

À la fin, nous avons rassemblé tout le monde dans le gymnase. Les suspects se sont tenus en ligne droite devant les jeunes, qui devaient aller se placer devant le moniteur qu'ils voulaient accuser. Puis, un par un, j'ai pointé ma lampe de poche vers chaque suspect.

Était-ce moi?

... Noooon.

Était-ceeeeee Michela?

... Noooon.

Étaiiiiit-ce Matt?

NON!

Vers la fin, il ne restait plus que Marli et Nick. Pendant que je faisais monter le suspense, Nick a commencé à se montrer nerveux, et juste comme j'allais révéler que Marli était innocente, il a pris ses jambes à son coup et s'est enfui.

Les enfants ont suivi.

La meute a couru derrière lui jusqu'au hall d'entrée, à l'autre extrémité de l'édifice.

Je suivais prudemment derrière, espérant que personne ne soit blessé dans le chaos.

Quand je les ai rejoints dans le hall d'entrée, Nick était hors de vue. Il était par terre, recouvert par la meute d'enfants qui le traînaient par terre par tous ses membres. Et au travers de tout ça, il gardait le personnage, et on entendait sa voix résonner dans tout l'édifice.

"SHE DESERVED TO DIE! SHE HATED MY CAAAAT!"

Nick a pu garder tous ses membres, et cette soirée est devenue ma deuxième préférée.

*

Jeudi, nous avions notre habituelle compétition de théâtre, pour choisir les sketchs et chansons qui seraient présentés au Happy-ning du lendemain.

Andrea s'adonnait à être de passage pour prendre des photos et nous remettre les informations de nos prochains camps. Son timing était parfait, elle est restée pour assister aux performances des jeunes.

Au terme de la compétition, Andrea semblait perplexe.

La majorité des sketchs comportaient des éléments de violence. Dans un en particulier, les jeunes ne faisaient que s'entretuer et voler le contenu des poches de leurs victimes. Dans un autre, ils avaient même créé une gigantesque mitraillette en carton par souci du détail.

Et l'une des chansons présentées, par un groupe d'enfants de 10-11 ans, était "500 Miles":

When I wake up, well I know I'm gonna be,

I'm gonna be the man who wakes up next to you

When I go out, yeah I know I'm gonna be

I'm gonna be the man who goes along with you

If I get drunk, well I know I'm gonna be

I'm gonna be the man who gets drunk next to you

And if I haver up, yeah I know I'm gonna be

I'm gonna be the man who's havering to you.

Ça faisait drôle, surtout avec la petite chorégraphie reliée à la beuverie.

On a choisi les performances qui ne comportaient ni violence, ni beuverie.

Et Andrea n'a pas quitté les lieux sans quelques paroles sages:

"Well, will it be a happy-ning, or a crap-ening?"

Ah ben merci pour le vote de confiance.

*

Dernier soir: Beat the Counsellor. Toujours un hit auprès des jeunes.

Matt a mené l'activité comme un pro, je n'ai pas eu à m'impliquer, sauf pour le défi qui m'a été lancé personnellement. Je devais essayer de battre un garçon de 11 ans au Bottle Flip.

Spoiler alert: j'ai perdu.

Mais les moniteurs ont gagné le tournoi. Les enfants étaient fâchés, ce qui rend seulement la chose encore plus drôle.

Une fille était particulièrement offusquée. Elle est venue nous parler dans le casque, affirmant que c'était injuste. Devant notre refus de changer les points parce qu'elle le demandait (pas si gentiment), elle s'est fâchée et a fait basculer une table.

Qui a atterri sur son pied.

Il a ensuite fallu la consoler parce qu'elle s'était fait mal.

On était jeudi soir, et je n'avais plus ce genre de patience. J'ai laissé Mary gérer les larmes hypocrites.

À un moment donné, woah minute.

*

Vendredi, c'était le Happy-ning. Cette fois, la MC, c'était moi. 

C'était la première fois. N'étant pas la plus extrovertie, je n'avais jamais été le choix évident l'an dernier. Mais cette année, étant à ma deuxième année, et étant aussi toujours monitrice de soir, mes chances d'être MC étaient plus élevées.

Cette semaine, c'était le cas. Et j'étais un peu nerveuse. J'aime bien superviser la logistique de la chose et m'assurer que tout se passe bien backstage. Mais là, il fallait que je pense à mes petites blagues faciles à comprendre pour un public de parents allemands.

J'ai réussi à faire sourire plusieurs parents dans le courant du spectacle, et tout s'est bien enchaîné, malgré la pratique générale chaotique qui avait précédé. À la fin, Tobi est venu nous féliciter pour notre beau happy-ning.

Il a reconduit quelques-uns d'entre nous à la gare de train, et Susana a reconduit les autres (moi incluse) jusqu'à Nürnberg. Plusieurs moniteurs allaient passer le weekend à Munich ou à Prague. Mais moi, je savais que, ce dont j'avais besoin, c'était un trou pas loin (donc Nürnberg) pour dormir jusqu'à dimanche.

J'étais épuisée.

*

Encore une fois, nous avions une chanson à présenter au début du spectacle. Cette fois, mes talents de compositrice avaient été complémentés par ceux d'un complice: Matt.

Mary avait aidé à trouver la chanson: "7 Rings," d'Ariana Grande. Matt et moi avons pris notre envol pour le reste.

Kids who go to bed and sleep by 10:30

Silence at night and kids waking up early

Go-kart, archery, having fun at camp

These are a few of our favourite things.

 

Been through some fun times, I should be so happy

Who'da thought leaving would make me so sappy?

We love your kids but there are a few things;

Hate when they talk but we love when they sing.

 

(Cue the rap)

The kids not listenin', so we are yellin'

The kids keep talkin', my head is hurtin'

You want your phone, so what, can't have it!

I see it, I hear it, I take it, I got it

 

I take it, I got it, I take it, I got it

It take it, I got it, I take it, I got it

 

You want t'have fun? That's great! Let's do it!

I see it, I like it, I want it, I got it!

*

Vendredi soir, alors que j'étais arrivée à mon airbnb, j'ai reçu un message texte d'Andrea. Elle avait "entendu dire" (aka, par Tobi) que notre happy-ning s'était bien passé. Elle nous félicitait pour le bon travail.

J'ai répondu aussitôt.

"No crap-ening on my watch, eh!"

*

Volksfest, à Neumarkt.
Volksfest, à Neumarkt.

Volksfest, à Neumarkt.

Semaine Trois: Pottenstein

J'ai passé le weekend dans un airbnb par moi-même de nouveau. Ça faisait du bien. le calme, après une semaine à être constamment entourée d'êtres humains.

Samedi, je suis allée au Volksfest à Neumarkt avec Mary. On y a croisé Nick, qui y était avec sa famille d'accueil de la semaine de formation, mais les autres moniteurs n'étaient pas dans les environs. 

On a bu nos bières (qui ne se vendent qu'en format de 1L, rien d'autre), mangé de la friture en masse, puis on a fait quelques manèges. J'ai traîné Mary dans un manège à balançoires qui volent haut dans les airs. Tout le long, j'ai entendu mon nom flotter jusqu'à mes oreilles.

"Caroliiiine.... I... haaaaate.... youuuuu."

Quand les balançoires ont commencé à redescendre, je l'ai entendue soupirer de soulagement, malgré tout le bruit ambiant. Elle m'a lancé un regard étrangement positif. 

Elle: "Well, that was actually fun!"

Ce qu'elle ne savait pas, c'est que ce n'était qu'une feinte. On redescendait, comme si c'était terminé, mais avant que nos pieds ne puissent toucher le sol, ça remontait, et ça repartait.

Et de nouveau, perçant la brise ambiante, "Caroliiiiiine!"

*

Dimanche, Susana reconduisait Tito, Steph et moi jusqu'à Pottenstein. Les autres s'y rendaient en train.

C'était ma deuxième semaine à Pottenstein, mais tous les autres avec qui j'avais travaillé la semaine précédente avaient passé à un autre camp. Cette semaine, je serais monitrice de soir avec Claire (Irlande) et Tito. De jour, il y aurait Emily (Canada), Azalea (USA), et nos deux retrouvailles depuis Habsberg: Steph et Carl.

Cette semaine serait spéciale: ce serait un camp bilingue. Carl aurait le groupe de français de jour, alors que les trois autres auraient des groupes anglais. De soir, je serais chargée des explications en français, et les deux autres feraient l'anglais.

Un nouveau défi qui s'annonçait.

*

La semaine serait un peu moins stressante, car puisque Tito était présent, il avait la séniorité. Donc quand la merde frappait le ventilateur, comme on dit si bien en anglais, je n'étais pas seule à gérer la situation.

Mais en général, nous avons eu une semaine facile. Le groupe écoutait beaucoup mieux que la semaine précédente, ça nous simplifiait énormément la vie.

Et nous avons eu très peu d'enfants homesick.

Un seul, en fait.

Mais, oh, le cas.

*

Je n'aime pas tomber dans les stéréotypes, mais les enfants qui s'ennuient de leurs parents ont généralement moins de 11 ans. Les filles ont peut-être une plus forte tendance à en souffrir, mais j'ai bien sûr eu bien des jeunes garçons qui en souffraient aussi. (En fait, cette année, j'ai eu plus de garçons, contrairement à l'an dernier.)

Mais l'âge, normalement, ça se tient. Passé 12 ans, ils ne s'ennuient plus et préfèrent faire la fête pendant que le chat n'est pas là. (Les moniteurs de soir sont là, mais apparemment, nous ne sommes pas très félins à leurs yeux.)

Cette semaine-là, notre cas de homesickness était un garçon de 13 ans, un de nos plus vieux. Nous étions un peu déstabilisés. Il est venu me voir pendant une pause, le deuxième jour, pour me dire qu'il s'ennuyait de la maison. Très posé, mais les yeux plutôt humides, il connaissait exactement le terme à utiliser en anglais: homesickness. Ça faisait différent des plus jeunes enfants qui ne savent pas reconnaître les symptômes pour ce que c'est, ou tentent de le camoufler en nous disant qu'ils ont mal à la tête, mal au ventre, etc. Je lui ai dit que nous en parlerions après le programme du soir.

J'en ai parlé un peu avec Tito et Claire. Nous nous disions que ça passerait, à condition qu'il s'intègre bien avec les autres jeunes de son âge. Après le programme du soir, Tito a mandaté plusieurs jeunes de l'inviter à jouer aux cartes avec lui, et il a encouragé ceux qui semblaient plus près de lui à aller lui parler, lui dire qu'ils aimeraient qu'il reste avec eux.

C'était bien sûr surestimer le tact des adolescents de cet âge.

Uh, Tito said I should come talk to you to tell you to stay or something.

Wow, bravo le grand.

On a étiré un peu la sauce. Je lui parlais et je le distrayais pendant que Tito en discutait avec Andrea. On a finalement conclu une entente qu'il passerait la nuit, et qu'au matin, il pourrait appeler ses parents.

Il est allé se coucher et on a pensé que c'était gagné, à tout le moins jusqu'au matin. On parlait du fait que, d'après ce qu'Andrea avait appris en parlant aux parents, c'était récurrent. Dès qu'il restait loin de la maison plus d'une journée, il s'ennuyait et exigeait qu'on vienne le chercher. Il avait appris, avec le temps, qu'il n'avait qu'à appeler ses parents pour qu'il rentre chez lui. Il n'avait pas surmonté cette phase.

C'est à peu près à ce moment dans notre conversation qu'il s'est levé et est venu nous dire qu'il ne se sentait pas bien, il avait mal au ventre. Nous savions que c'était un symptôme typique de s'ennuyer de la maison, alors ça ne nous inquiétait pas. Mais puisqu'il était plus vieux, nous n'avions pas besoin de faire semblant. Nous lui avons dit que c'était normal, quand on s'ennuie de la maison, et que ça allait passer. Tito est allé lui chercher un thé, et m'a communiqué en mauvais langage des signes que c'était un bon moment pour moi d'avoir un coaching talk avec lui.

Apparemment, j'étais la monitrice-maman de la semaine.

Je me suis assise avec lui sur les divans du hall d'entrée. Il sirotait son verre d'eau, et je lui posais des questions sur les fois où c'était arrivé avant. Il semblait conscient que c'était un problème, mais ne se sentait probablement pas la force de résister à la tentation d'appeler maman et papa pour rentrer. Je me suis lancée dans un discours inspirant, portant sur la fierté qu'il ressentirait, s'il réussissait pour la première fois à compléter un séjour hors de la maison. Il serait fier, mais ses parents aussi. N'était-ce pas une opportunité en or pour lui de se prouver à lui-même qu'il en était capable?

Il hochait la tête de plus en plus brièvement, et semblait complètement désengagé. Je me suis dit, bon, il n'y croit pas vraiment, hein.

Et c'est alors qu'il s'est mis à vomir sur le sol devant lui.

Abondamment.

Et encore. Et encore.

Je me suis levée en murmurant quelques paroles réconfortantes, et je suis partie à la course, à la recherche d'une mope.

À Pottenstein, il y a une quantité infinie de balais, mais pas vraiment de mope. J'ai rallié Tito (qui n'était pas du tout en train de préparer un thé, en fait, il m'avait juste laissée faire mon speech), Carl, Azalea et Emily dans ma quête. Les pauvres moniteurs de jour qui essayaient simplement de planifier leur semaine, voilà qu'ils étaient confrontés à la dure réalité d'un tas de vomi à ramasser, avec rien d'autre que des essuie-touts et du savon.

Tito, Carl et Azalea se sont montrés courageux... jusqu'à ce qu'ils voient le tas de vomi en question, constatent qu'il ne s'agissait pas d'une petite flaque de liquide, et s'enfuient ne répétant une série de nope, nope, nope, nope désillusionnés.

Emily et moi nous sommes regardées. Nous avons soupiré. Puis, l'air déterminé, nous avons enfilé des gants, retroussé nos manches, et avons commencé à étaler les essuie-touts par-dessus le dégât.

*

Notre jeune homme a survécu à sa nuit, tel que promis. Mais venu le matin, il a appelé sa mère, qui a accepté de venir le chercher. Il est parti en début d'après-midi.

Ça a été notre dernier cas de homesickness de la semaine.

*

Notre programme du soir s'est bien déroulé pendant la semaine. Avec Tito, ça se passe généralement très bien. Après cinq ans, il s'y connait, et avec sa forte voix, il se fait facilement entendre. Et Claire, bien qu'elle semblait incertaine (c'était sa première semaine comme monitrice de soir), s'en sortait très bien aussi.

Dimanche soir, nous avons tenu une chasse au trésor. Comme d'habitude, les jeunes devaient se prendre en selfie avec différentes consignes pour compléter les tâches.

Lundi, nous avons organisé des Olympiques. C'est une activité qui n'est pas du tout nouvelle ou originale, mais elle s'adapte bien aux camps bilingues, car on peut y inclure la France et le Canada comme pays francos.

Mardi, nous avons eu une soirée où nous combinions Minute To Win It avec un pub quiz. Si ça avait été un désastre la semaine précédente, ça a très bien marché cette fois. Combiner Minute To Win It avec le pub quiz permet de maintenir un bon rythme de croisière dans le courant de la soirée. Et puis, même si les jeunes n'écoutaient pas toujours attentivement, c'était beaucoup mieux que la semaine précédente. Après tout ça, lorsqu'il faisait noir, nous sommes allés jouer à Capture the flag dehors, mais avec des glowsticks au lieu des drapeaux. Les jeunes ont trippé, mais j'ai raté l'activité: mes fonctions de monitrice-maman faisaient en sorte que j'étais occupée avec une fille qui avait des crampes à l'estomac. (On a eu peur qu'elle ait à rentrer chez elle, car elle disait avoir eu des crampes similaires récemment, qui avaient été très aigües, mais les docteurs n'avaient rien trouvé. Finalement, ça a passé dans la courant de la journée du lendemain.)

Mercredi, après l'activité spéciale (arbre en arbre), nous avons eu notre traditionnel Beat the Counsellor. Par miracle, j'ai gagné un défi pour dribbler un ballon de basketball! Et j'ai à peine triché! (J'ai aussi misérablement perdu un défi de souplesse. Mais ça, pas besoin d'en parler.)

Jeudi, nous prévoyions jouer à Stratego, puis avoir un bon feu de camp pour clore la semaine. Mais il s'est mis à pleuvoir en plein pendant Stratego. Nous avons donc converti la soirée en soirée cinéma. On a écouté Spiderman sur mon Netflix, et parce que le film est particulièrement long, les jeunes se sont endormis plutôt rapidement après.

Ça aura bien conclu notre semaine en termes de programme du soir.

*

Le camp de français n'est pas toujours évident.

L'an dernier, ma première semaine avait été un camp de français. Les jeunes sont plus vieux (12-14 ans), mais ont un niveau plus bas, puisqu'ils commencent à apprendre le français à l'école plus tard que l'anglais. On ne peut pas faire les jeux trop avancés, mais on ne veut pas non faire des activités qu'ils trouveraient enfantines.

Et puis, à cet âge, il y a les dynamiques de cool-itude qui rendent la chose difficile à gérer parfois. Si on se souvient, c'est lors de ma première semaine l'an dernier que j'avais eu mes maintenant-fameux CCs (aka, Cr*ss de Cinq).

Ah, que de souvenirs.

Carl, malgré sa cool-itude, semblait trouver son groupe difficile à gérer. Certains de ses jeunes étaient très bons, d'autres pas du tout. Certains étaient intéressés, et d'autres, pas du tout.

Le soir, Tito avait du mal avec les garçons du français qui ne voulaient pas aller dormir.

Par chance, les filles étaient plus faciles à gérer de mon côté. Elles ne voulaient pas nécessairement dormir, mais au moins, elles ne faisaient pas la fête. Elles parlaient jusqu'aux petites heures du matin.

Je me suis bien liée d'amitié avec elles. Je rigolais un peu avec elles avant de les implorer de chuchoter pour ne pas réveiller les autres chambres. (Bien sûr, c'était ridicule: les autres chambres ne dormaient pas plus.)

Lorsqu'il a été su que Tito réveillait les garçons du français avec une petite chanson et danse qu'il avait intitulé "Bon Matin", les filles ont exigé que je les réveille le lendemain avec une performance musicale et dansante.

Leurs prières furent mes ordres.

C'est ainsi que, mercredi matin, à 7h le matin, je me retrouvai à débarquer dans leur chambre en chantant ma traduction personnelle de la chanson "Good Morning", du film Singin' in the Rain. 

Boooooon matin, bon maatin!

C'est LE soleil qui brille

Bon matin, bon matin, À TOIIIII!!

Jamais n'aie-je vu des sourires aussi tôt le matin en réveillant les jeunes au camp. Je devrais garder le truc en tête, pour les futures semaines...

*

C'est aussi mercredi que nous sommes allés faire de l'arbre en arbre. 

Cette fois, tout le monde allait faire la même activité, donc pas de complexité avec l'autobus: on monte, on s’assoit, on descend.

J'avais déjà fait de l'arbre en arbre avec LEOlingo par le passé, mais c'était la première fois à ce site en particulier. C'était un peu différent: chaque parcours terminait au même point où il avait commencé, ce qui gardait le groupe plutôt sous contrôle. Nous n'avions pas besoin d'accompagner les jeunes, et pouvions faire de l'arbre en arbre entre nous-mêmes. C'était agréable. 

(Quoique, il semblerait que je sois plutôt lente. J'ai perdu de vue les autres après un temps, alors j'ai continué à mon rythme.)

Lana, qui avait eu des crampes d'estomac la veille, ne voulait pas faire d'escalade. Si elle était toujours avec nous, c'était bien parce que sa mère avait été une championne quand elle l'avait appelée; la maman lui avait dit de toffer la journée, et de voir en après-midi comment ça allait. 

Tito et moi avions essayé de la convaincre de mettre un harnais. Comme ça, elle pourrait décider plus tard de faire de l'escalade ou non. Mais si elle ne le mettait pas maintenant, il serait trop tard pour changer d'avis plus tard.

Non, elle ne voulait pas.

On se préparait donc à la reléguer à Susana, qui était là pour prendre des photos, afin qu'elle soit accompagnée pendant que nous étions dans les arbres. Mais Azalea est arrivée, a secoué sa baguette magique, et juste comme ça:

"Are you sure? Come on, you can put it on, climb for two minutes, and then stop if you like."

Et juste comme ça, Lana répondait: "Okay!"

Tito et moi, on s'est regardé.

Eh ben.

*

Les différents parcours étaient codés par couleur, selon leur niveau de difficulté. Les verts étaient les plus faciles, les bleus un peu plus avancés. Les rouges étaient difficiles, et le noir (singulier) était le niveau expert.

Nos jeunes avaient généralement l'âge pour faire les parcours rouges. Mais pour le noir, il fallait avoir 14 ans et plus.

À moins, bien sûr, d'être accompagné d'un adulte.

Soudainement, j'étais populaire auprès des garçons de 12 ans. Un adulte pouvait superviser trois jeunes, et trois garçons m'avaient dans la mire. Je m'apprêtais à faire un parcours rouge lorsqu'ils ont commencé à tenter de me convaincre d'aller faire le noir avec eux. Je leur ai dit que j'y penserais à la fin de mon parcours rouge. Ils m'ont donc suivie dans le rouge, juste pour être sûrs que je ne me fasse pas intercepter par d'autres jeunes pendant qu'ils n'étaient pas là pour défendre leur priorité.

Le rouge, je dois dire, je l'ai trouvé pas mal dur.

Et à chaque segment, mon fanclub me disait quelque chose du genre "Oh, in the black one, there's something like this, except the wooden things spin, and move in all directions, and they're super far apart."

Et à chaque fois, je répliquais que, leur technique de vente, elle était pas forte forte.

À la fin, je leur ai présenté mes excuses: je n'irais pas faire le parcours noir avec eux. De toute façon, je voyais ça comme un potentiel problème. Les autres moniteurs s'étaient déjà engagés dans le parcours noir, mais par eux-mêmes, et j'étais donc la seule à pouvoir accompagner des jeunes rendu là. Puisque je ne pouvais en superviser que trois, je voyais déjà la jalousie et la bouderie qui ensuivrait si j'y allais avec ces trois-là, et pas les autres.

Et puis, j'étais moumoune, disons-le.

Je suis allée manger de la crème glacée avec les autres qui en avaient assez. Emily s'était cogné le genou très fort lors d'une chute, et elle prenait une pause depuis plus d'une heure. Au grand désarroi de ses garçons, car elle, elle aurait été game de faire le parcours noir.

Les moniteurs sont revenus du parcours noir assez tard. Je commençais à me demander où ils étaient. À leur retour, on aurait dit qu'ils revenaient de la guerre. Il leur avait fallu plus d'une heure à compléter le parcours, et ils étaient complètement vidés. Je me suis donné une petite tape dans le dos pour avoir choisi la crème glacée à la place.

Nous avons mangé nos sandwichs, puis nous sommes rentrés au camp.

*

Toute la semaine, on sentait un niveau d'énergie plutôt bas parmi les moniteurs.

C'était la Hump Week, comme l'appelait Tito. La plupart d'entre nous n'avions pas encore eu notre semaine de congé, mais étions à point. Trois semaines de camp d'affilée, ça se faisait sentir dans le corps.

Par chance, nous n'avions pas un groupe de jeunes qui sautait par les fenêtres comme la semaine précédente.

(Oh, avais-je oublié de mentionner que les jeunes se sauvaient par les fenêtres la semaine précédente? Eh ben. Il y avait juste eu tellement de conneries cette semaine-là...)

Cette fois, c'était plus simple.

Et pour une fois, ce n'est pas un présage de plot twist imminent.

*

Au Happy-ning, Tito et Carl étaient les MCs. J'étais de retour dans le backstage, où je m'occupais de m'assurer que le groupe de Carl se rendait sur scène lorsqu'il le fallait.

Nous avions de nouveau une chanson préparée pour ouvrir le spectacle. Cette fois, nous avions choisi une chanson allemande, que les parents connaissaient bien. C'était parfait pour le camp bilingue, car la chanson portait un titre en français:

"Je ne parle pas français", par la chanteuse allemande Namika.

Tito et Claire ont écrit le gros des paroles, j'ai contribué les mots français ici et là.

 

LEO

lingo has arrived

And the camp will begin

 

Heyo

Tito did you hear

That the French are coming in?

 

PARDON?

What should we say?

Salut, qu'est-ce que vous cherchez?

 

COMMENT?

Really sorry guys, 

We can't understand a thing.

 

Escargot baguette croissant

Table burger and ball

But when you have fun

It doesn't matter at all!

 

Je ne parle pas français

Mais continue de parler

I think everything you say

Sounds so cool and sexy

But if you keep teaching French

And you stick to the English

Je ne parle pas français

Mais continue de parler

 

Oh le le le le le le le le

Oh the the the the the the the the the

 

NOW THAT

We are all together

Let's go play some gams

 

WE HAVE

Kinball and lacrosse, and capture the flag

WITH GLOWSTICKS

This week we swung

All high up in the trees.

 

SUPER

Now Carl take it away

With a rap won't you please?

 

(RAP DE CARL)

STILL CAN'T UNDERSTAND A THING!

 

Je ne parle pas français

Mais continue de parler

I think everything you say

Sounds so cool and sexy

But if you keep teaching French

And you stick to the English

Je ne parle pas français

Mais continue de parler

 

Oh le le le le le le le le

Oh the the the the the the the the the

*

Cette fois, c'est Anne-Marie qui est venue assister au Happy-ning. Après le spectacle, elle a reconduit certains à la gare de train, tandis que Susana reconduisait les autres (dont moi-même) à Nürnberg.

C'était officiellement ma semaine de congé, et j'avais hâte de ne plus stresser sur les camps pendant toute une semaine.

J'allais passer la nuit à Nürnberg, puis le lendemain matin, je prenais un bus vers mon pays #23: la Suisse.

Suivi de près par le Liechtenstein, pays #24.

 

À suivre.

 

Rédigé par la-grande-fugue

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